Hommage à Sotigui Kouyaté le 20 janvier 2012 au théâtre du Garde-Chasse - Les Lilas









De Londres, nous nous sommes rendus à la Mairie des Lilas, dans la banlieue parisienne, en France. Esther Kouyaté, la veuve de Sotigui, met en scène un hommage au griot et a l’artiste de spectacle devenu universel.
C’est le 20 Janvier en cette année 2012 que beaucoup présument fatidique. Le Théâtre du Garde Chasse
est presqu’à son comble, avec un public français de tous les âges. Dans la salle, quelques rares présences
africaines. Certains, comme nous, ont préalablement visité la salle d’exposition où des photos, des documents, des costumes, des masques et d’autres objets ayant appartenu à l’artiste, lèvent un peu plus le voile sur cet illustre ‘refugié’ qui a fait honneur à son pays d’accueil. Ce soir, les habitants des Lilas sont venus lui exprimer leur appréciation posthume.
Refugié ou ambassadeur ? La qualité des personnalités qui ont pris place sur la scène pour dire leur respect
profond pour Sotigui Kouyaté révèle un personnage hors du commun. Le griot venu de l’Afrique profonde
a effectivement transplanté une tranche de sa vérité africaine en terre européenne ; l’artiste intègre et
généreux est venu enrichir de son vécu et de sa personne l’art du théâtre et du cinéma contemporains. Il
ne fait aucun doute, selon les témoignages de ce soir d’hiver, que Sotigui a gracié de sa présence un monde
qui ne l’attendait pas. Je retiendrai un verbe employé pour signaler une rare qualité de l’acteur Kouyaté :
bonifier. ‘Merci, Sotigui, de m’avoir bonifié!’ Qui était donc ce personnage qui a la capacité de bonifier ceux
qu’il côtoyait de son vivant ?
Un humain attentif, glorieusement imparfait mais d’une exceptionnelle intégrité dans un monde tiraillé et
confus. Pour avoir partagé les planches avec Sotigui lorsque j’étais acteur, je suis en mesure de confirmer que le terme n’est pas exagéré. Sur les murs de la ville, l’affiche le qualifie déjà de ‘maitre de la parole’ et le hisse au statut de ‘citoyen du monde’. Et le spectacle emploie le théâtre, la danse, la musique, le dessin et la poésie pour illustrer un hommage à la dimension de l’homme disparu : simple dans la forme, riche de profondeur et transparent dans son message. Sotigui Kouyaté a donné un sens neuf au terme ‘authenticité’. Un homme pluriel enjambant frontières, tradition et cultures, Sotigui Kouyaté a réussi à imposer une esthétique différente, à proposer une harmonie possible. Sur scène et dans la vie.
Les musiciens, les chanteurs, les acteurs et les témoins parviennent à accorder leurs voix pour interpréter cette difficile harmonie. Dans ce sens, le metteur en scène a réussi. Et la ville des Lilas se joint spontanément à cet élan qui se dégage de la scène. Un élan qu’on voudrait qualifier de vital, de peur que la réalité ne rejette de rares qualités humaines dans la poubelle de l’utopie.
Le temps d’un chant traditionnel, Kandia Kouyaté réconcilie l’homme disparu avec ses sources lointaines et
l’espace présent, au-delà de la vie et de la mort. Tom Diakité hausse le débat artistique à un autre niveau
d’interprétation vocale et musicale. La rencontre entre la voix du chanteur et le crayon de l’artiste Xavier
Devaud esquissant un profil-minute du disparu reste un des moments forts. Pour moi, c’est le témoignage
venu de la Grèce qui place à la fois l’homme et la soirée dans leur juste perspective: Sotigui a enseigné
aux acteurs grecs sa perception d’une seule longue marche continue dans l’aventure humaine. Dans cette
perspective, la Grèce antique reste la mère de l’Europe du 21eme siècle, tandis que la grand’mère Afrique,
encore incomprise, veille avec mélancolie sur le sort de ses enfants et de ses petits-enfants. L’Asie n’est
pas oubliée, comme le souligne le français Jean-Claude Carrière, l’Africain Kouyaté ayant apporté une telle
dimension à la pièce Mahabharata, mise en scène par l’anglais Peter Brook.
En ces temps d’extrême complexité, il est encore possible de faire entendre un cœur simple battant dans
la poitrine d’un homme tranquille, capable de rassurer par la douceur un monde essoufflé par ses vaines
prouesses. Merci encore, Sotigui, de nous avoir bonifiés.
Daniel Labonne. Auteur et dramaturge. Londres. 24 Janvier 2012.